Thibault me dit que c'est sans doute la dernière fois que nous venons assister à un concert à la salle Pleyel. Vraiment ? L'Orchestre de Paris et son chef Paavo Järvi, qui sont ici chez eux, doivent emménager pour la saison prochaine à la Philharmonie de Paris que l'architecte Jean Nouvel est en train de terminer à la Cité de la Musique au nord de Paris. Celui-ci serait donc un concert d'adieu ?
Le programme, très varié, fait saliver, si je puis dire : Chabrier, Saint-Saëns, Glière, Tchaïkovski, et deux concertos (Concerti !) donc deux solistes !
Comme pour un adieu, j'explore donc une dernière fois, peut-être, ces lieux où j'ai pris bien du plaisir. Bientôt la salle servira pour des spectacles de variété. Subira-t-elle des transformations ? Il n'y a en effet ni coulisses ni rideau de scène. Avant que l'orchestre ne commence à jouer, le public salue par des applaudissements la mémoire du grand chef espagnol Rafael Frühbeck de Burgos, disparu le matin même. Il était né en 1933. Et coïncidence, hommage voulu sans doute par le dieu des musiciens, c'est Espana de Chabrier qui nous est offert. C'est une pièce assez courte, mais brillante, un agréable divertissement orchestral, foisonnant de thèmes espagnols et populaires. La rhapsodie est dirigée avec feu par le chef japonais Yutaka Sado : celui-là, on peut le faire citoyen d'honneur espagnol ! A la fin de son interprétation, toute la salle était prête à se dresser et à danser sur les fauteuils en tapant dans ses mains !
L'oeuvre suivante était le dernier des cinq concertos pour piano que Saint-Saëns écrivit. On l'appelle l'Egyptien car il fut écrit lors d'un voyage de Camille en Egypte : visiblement, il était inspiré par le proche Orient et il a été heureux en voyageant de Louxor au Caire. La mélodie du second mouvement est tellement belle que, je crois, la salle entière la connaissait par coeur. Jean-Yves Thibaudet était au piano, il m'a ensorcelé. Après les nombreux rappels du public, J.-Y. Thibaudet nous offrit en bis, interprétation exemplaire, la Pavane pour une infante défunte de Ravel, dont nous avions entendu, deux jours plus tôt Daphnis et Chloé à Bastille.
Après l'entracte, révélation pour moi, un concerto pour harpe. Le compositeur, je l'avoue, m'étais complètement inconnu : Rheinhold Glière, un Russe, oui ! mort en 1956. Pendant que Xavier de Maistre jouait, je pensais à une de mes amies qui raffole de la harpe et que la discrétion m'empèche de nommer ici, sauf que son nom commence comme un apéritif à la gentiane et se termine comme le nom d'un animal de la crèche du petit Jésus. Elle se reconnaitra. Son mari porte un prénom, discrétion oblige, qui évoque un bébé en train de digérer mais qui prend son temps. Xavier de Maistre a fait Sciences-Po en même temps qu'il étudiait la harpe : visiblement, il est doué pour enchanter nos oreilles et tenir tête avec son instrument à tout un orchestre symphonique. Pour diriger un cabinet ministériel, il faut voir. Le concerto est très beau (le harpiste aussi), avec un rôle de premier plan par rapport à l'orchestre, réduit en effectif. Beaucoup de lyrisme. Et pour nous récompenser, Xavier de Maistre nous a offert en bis uns transcription de guitare de J. Rodrigo. J'ai adoré : la guitare, c'est bien, mais la harpe ... Hein, mon amie ?
Et pour boucler ce programme-tour d'Europe, après les accents espagnols de Chabrier, orientaux de Saint-Saëns, slaves de Glière, voici Tchaïkovski et sa suite d'orchestre tirée du ballet Le lac des cygnes, avec sa valse, sa danse hongroise, sa danse espagnole, sa danse napolitaine, ses czardas, sa mazurka et sa danse des cygnes ! On ne s'est pas ennuyés ! Si ce concert fut pour nous un concert d'adieu à la salle Pleyel, ce fut une belle fête et un bel adieu.