J'ai accompagné ce jeudi 9 février Renée à sa dernière demeure. C'est la première fois que j'use de son prénom pour la nommer. Je ne l'ai jamais appelée Renée, mais toujours, avec respect, Madame suivi de son patronyme. Cela fait plus de trente ans. J'avais fait sa connaissance à la fin des années 70 quand son fils professeur fut nommé dans le même établissement que moi ; nous avions vite sympathisé, son fils et moi, avant de devenir amis. Très rapidement, à l'occasion d'amitiés franco-allemandes, Renée m'avait reçu chez elle, et depuis ce temps-là, je fus toujours associé aux évènements de sa vie : le mariage de son fils, la naissance de sa petite-fille, des anniversaires, des réceptions d'amis allemands, un voyage en Haute-Saône dans la maison familiale, des vacances en Aveyron... Renée m'a toujours témoigné beaucoup d'affection, de générosité et quand je la rencontrai, j'étais toujours heureux à l'avance de la façon dont elle me traiterait : son sourire et cette façon de plaisanter avec moi qui m'enchantait, comme si elle me disait "Ne nous prenons pas au sérieux !" ou bien "Les choses ne sont pas si graves ni si importantes !" Cette légèreté d'esprit, et cette sorte de complicité, je ne les ai retrouvées chez personne. Cela avait quelque chose de rassurant qui me mettait encore plus à l'aise.
Je raconte ici le dernier souvenir que j'ai d'elle. Sa petite-fille, qui prépare son doctorat au Mexique, était de passage chez elle et j'étais venu l'embrasser. Le soir même, j'allais à la Comédie Française avec Thibault voir Cyrano. Nous étions assis dans son jardin, à l'ombre d'un grand arbre, buvant et devisant. En riant, je citai le premier vers de la ballade "Je jette avec grâce mon feutre..." Aussitôt Renée, qui avait alors 96 ans, enchaîna les vers suivants "et je fais lentement l'abandon du grand manteau qui me calfeutre..." et me récita ...toute la tirade ! Aujourd'hui Renée s'en est allée. On dit qu'elle s'est éteinte. Ce n'est pas une vaine métaphore, Renée, quand on était près d'elle, son rayonnement heureux éclairait. Elle s'est éteinte, une nuit de février, dans les bras de son fils, sans souffrir, comme une chandelle qui a consumé toute sa matière. La mort a été douce pour elle.