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28 novembre 2009 6 28 /11 /novembre /2009 12:04

Dans trois jours, je vais à l'Opéra voir Salomé de Richard Strauss. Je serai au 22ème rang au parterre.
Bernardino Luina a peint, au début du XVIème siècle, ce tableau, acquis par Louis XIV et désormais exposé dans la grande Galerie du Louvre. René Dumesnil, fameux critique littéraire et musical décédé il y a plus de quarante ans, à propos de ce tableau parle de "charme perfide, dans l'extrème du vice et de la grâce, vierge équivoque". Ainsi il évoque cette Salomé qui obtiendra de son beau-père Hérode, fou de désir pour elle, la tête de Jean-Baptiste en récompense d'une danse lascive, la célèbre Danse des Sept Voiles de l'opéra de Strauss.
Gustave Flaubert, dans un de ses contes, décrira cette danse :
...et les nomades habitués à l'abstinence, les soldats de Rome experts en débauches, les avares publicains, les vieux prêtres aigris par les disputes, tous, dilatant leurs narines, palpitaient de convoitise."

J'attends beaucoup de plaisir de la représentation de cette oeuvre, l'opéra du désir inassouvi. La tension de sa musique est extrème, le rôle de Salomé long et difficile.

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26 novembre 2009 4 26 /11 /novembre /2009 18:22
Ce matin, j'ai rendu visite à mes morts. Mes parents reposent au cimetière de Tournan, mon père depuis trente-cinq années déjà et ma mère depuis bientôt dix ans.
Je n'aime pas Tournan. Pourtant je l'ai aimé. Aujourd'hui, le bourg rural peuplé de retraités et de braves gens que j'ai connu dans les années soixante est devenu une petite ville encombrée où la circulation est un casse-tête, où les lascars s'agglutinent dans les zones d'ombre, dont presque toutes les maisons se vident dans la journée et où il devient risqué de laisser sa voiture près de la gare. Si elle n'est pas la proie de policiers municipaux qui font du zèle, elle est la victime des petits casseurs. Et les anciens commerçants sympathiques ont presque tous été remplacés par des banques et des agences immobilières. La zone industrielle y dévore la campagne et l'on doit prendre son véhicule pour aller se promener dans les champs. L'anonymat y règne et on ne s'y salue plus. Les gens courent le matin jusqu'à la gare et le soir le RER vomit son lot de travailleurs exténués.
Le cimetière est un peu à l'image de la ville. Il s'est agrandi considérablement, plongeant les tombes dans l'anonymat, le coeur avec ses monuments se retrouve excentré et la nouvelle entrée évite l'hommage aux morts des deux guerres, cependant que les défunts ont gagné sur les vivants un avantage qui ne leur sert guère : un vaste parc de stationnement qui manque à la gare. Il est toujours désert.
Aujourd'hui, le cimetière a des allures de jardin. Le jour des morts n'est pas loin, et beaucoup de tombes sont fleuries. Les bourrasques qui ont soufflé tous ces jours derniers ont fait rouler dans les allées des pots de chrysanthèmes dont les têtes commencent à se faner doucement. Les tombes les plus récentes sont les plus chargées de fleurs, et puis quand l'oubli s'est installé, il n'y a bientôt plus rien. "Les morts, les pauvres morts, ont de grandes douleurs, Et quand octobre souffle...son vent mélancolique..." vous connaissez le poême de Baudelaire. Entre deux gros nuages qui courent vers l'est, le soleil envoie de brèves illuminations sur le cimetière qui prend, dans les rafales de vent, un peu de vie, une sorte d'animation joyeuse.
Mes parents reposent sous une simple dalle de granit gris, ornée d'une croix noire, en haut et à gauche de la pierre. Mon père repose à droite et ma mère à gauche. C'est ainsi qu'ils ont toujours dormi, dans le minuscule appartement à Paris, ou dans la vaste maison construite à Tournan pour la retraite. Ma mère l'a voulu ainsi. Le cercueil de mon père a été descendu dans la droite du caveau, de façon que tout naturellement celui de ma mère trouve la place qu'elle s'était réservée. Mon père l'a attendue là vingt-cinq ans. Curieusement, aujourd'hui, j'observe que l'ombre de la croix s'étend sur la partie du tombeau où repose ma mère. Elle était une catholique pratiquante, élevée dans une piété austère par ma grand-mère, une bigote superstitieuse. C'est fort bien ainsi. Je crois que mon père était plutôt un mécréant. Je me souviens d'une discussion animée avec ma mère au moment du décès de mon père pour savoir quel type d'obsèques il fallait organiser. La scène avait eu lieu en présence du curé et celui-ci a bien cru que la recette de l'enterrement allait lui échapper.
Au pied de la tombe, comme à la tête, j'ai installé il y a quelques années deux grandes jardinières qui font toute la largeur de la dalle. Et quand j'ai acheté ma maison aux Chapelles-Bourbon j'ai prélevé de la terre de mon jardin pour remplacer la terre ancienne qui venait du jardin de Tournan. Cette nouvelle terre est d'une qualité exceptionnelle et tout ce qu'on y plante y prospère. Cette année, comme l'an passé, une quinzaine avant la Toussaint, j'ai replanté dans une des jardinières une dizaine de viola cornuta bleu nuit au coeur d'or. J'ai laissé libre l'autre jardinière jusqu'au 1er novembre afin qu'un autre visiteur puisse éventuellement honorer ces morts. C'est seulement alors que j'ai garni le dernier bac avec trois pieds de pieris, un petit arbuste résistant, dont les feuilles roussâtres m'avaient plu chez le pépinièriste. Aujourd'hui, comme la semaine dernière, je suis venu inspecter mes plantations. Je sais bien que les morts ne se relèvent pas la nuit pour contempler leur tombeau au clair de lune, mais je me dis que, là-haut, au paradis des pâtissiers, entre les anges qui fourrent des religieuses, cuisent des pets-de-nonne et des madeleines et ceux qui garnissent des saint-honorés, mon père et ma mère me regardent. Peut-être.

 
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25 novembre 2009 3 25 /11 /novembre /2009 08:30

J'avais vu en son temps, comme beaucoup de Français, le film que A.Cayatte avait consacré à l'histoire douloureuse de Gabrielle Russier. Hier soir, de nouveau, à la télé, cette histoire, filmée par Josée Dayan. Ce film est admirable. Tout m'a plu, l'extraordinaire présence des deux comédiens principaux, Murielle Robin au jeu contenu, qui n'en fait jamais trop, qui vibre et souffre, le séduisant Sandor Funtek, dont la violence passionnelle emporte sans détour les deux personnages vers l'issue tragique. Mais ce que j'ai le plus apprécié, dans cette histoire qui aurait pu être casse-gueule, bien que tirée de la vie, ce sont les dialogues. Jusqu'à la fin du film, je les ai trouvés exemplaires : cette succession de questions que pose le jeune protagoniste à son professeur sont des crochets qui imposent une progression  sans retour, qui interdisent absolument de se défiler ou de revenir en arrière. C'est à la faveur du débat animé par C. Hondelatte que j'ai découvert, -il était présent sur le plateau-, que c'est Philippe Besson qui en était l'auteur. Bravo ! Il est aussi l'auteur du scénario et j'ai regretté que le débat ne lui ait pas laissé davantage le temps de s'exprimer. Les autres intervenants, sans doute sous le coup de l'émotion suscitée par ce bel amour, étaient presque tous "du camp" des amoureux au début de l'émission, avant de conclure en gros que la loi, c'est la loi et qu'elle se doit appliquer : dura lex sed lex. Seul le psychanalyste m'a paru intéressant en dissèquant la notion de "victime", évoquée par une avocate et le témoignage d'une intervenante en voix off.
C. Hondelatte a présenté un bref film qui retrace, avec des images d'actualité la passion de ce professeur et de son élève et on s'aperçoit, à cette occasion, que P. Besson n'a absolument pas trahi l'hisoire véritable et même je trouve que la transposition dans les années 80 lui donne une nouvelle force. Et on a pu revoir le président Pompidou, interrogé par un journaliste, se torturer longuement les mains dans un silence attentif avant de se sortir d'une question douloureuse en citant les vers, énigmatiques pour tous, du poête P. Eluard, et ensuite quitter la conférence de presse sans un mot supplémentaire. Ces vers évoquent les femmes tondues à la libération pour avoir aimer un Allemand. Les voici :

Comprenne qui voudra
Moi mon remords ce fut
La malheureuse qui resta
Sur le pavé
La victime raisonnable
A la robe déchirée
Au regard d'enfant perdue
Découronnée et défigurée
Celle qui ressemble aux morts
Qui sont morts pour être aimés

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22 novembre 2009 7 22 /11 /novembre /2009 10:25

Dans la nouvelle  Ken de Mishima, je trouve ceci :

                     L'illusion orgueilleuse de l'indépendance exige la pudeur des sentiments.

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21 novembre 2009 6 21 /11 /novembre /2009 06:54
Je suis allé hier à l'Auchan pour m'acheter de ce beaujolais nouveau et surtout une épaule d'agneau. L'agneau, c'est une viande dont je suis friand. Une épaule, c'est un peu beaucoup pour moi, qui suis seul en ce moment, mais j'en fais deux parties, une fois l'épaule désossée : un rôti, simplement au four, un peu plus cuit que le gigot - il y a un peu plus de gras - et le reste mijoté en morceaux dans une "casserole d'agneau à l'italienne", avec des légumes du soleil. C'est succulent. J'en donnerai un jour ma recette, très simple.
Et je profite de mon voyage au Temple de la Consommation pour aller faire mes dévotions à Sainte Fnac. Je voulais voir à la librairie à quoi ressemble Le Voyage autour du Monde de Bougainville qui visita Tahiti dans la deuxième moitié du XVIIIème siècle. C'est un pavé, même en édition de poche chez La Découverte, et il n'y a qu'une bonne vingtaine de pages sur la description de Tahiti et de ses habitants. J'achetai cependant le livre de Philippe Besson sur Rimbaud. J'avais adoré son admirable premier roman : En l'absence des hommes,  et je crois me souvenir l'avoir offert à mon amie Régine de Barriac pour la dessiller. Au rayon musique, le désert complet ! Alors qu'à la librairie commencent les achats de Noël, chez le disquaire, personne. Déjà, à l'entrée du magazin, l'absence de disques m'avait intrigué. Le rayon du classique, qui déjà n'était pas grand, a encore été réduit : une travée de moins, à peine plus grand qu'un confessionnal. Et des bacs sont maintenant remplis de DVD de variétés. Je retrouvai quand même le beau coffret que m'avait offert Thibault des symphonies de Haydn par  Nikolaus Harnoncourt, mais son prix en a été majoré. C'est les fêtes !  Le dernier cd de Bartoli est hors de prix lui aussi et j'attendrai une promo pour me l'offrir. Je quittai la chapelle "Classique" de Ste Fnac en glissant ma carte de crédit dans le tronc à offrandes placé à cet effet à la sortie. Le sacristain derrière son comptoir m'a juste demandé si j'avais la carte des fidèles de cette église. Je l'avais, c'est Thibault qui m'a converti.
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20 novembre 2009 5 20 /11 /novembre /2009 16:17
Quand ils se retrouvent pour le conseil, le soir à la mairie, la nuit tombée, après une journée de travail pour la plupart, les conseillers se saluent d'abord. Les hommes s'apostrophent joyeusement, s'envoyant des claques dans le dos, se bourrant l'épaule de coups affectueux, ou échangeant de vigoureuses et viriles poignées de main. Sauf avec moi, eu égard à mon âge, à mes cheveux gris et surtout compte tenu de la réserve que j'affiche dans ces effusions faussement chaleureuses. Et les hommes et les femmes s'entrebaisouillent à qui mieux-mieux, qui prodiguant une vague léchouille, telle autre avançant un cul de poule pour déposer deux baisers pointus sur une joue mal rasée du matin, telle autre enfin écrasant trois gros poutous tels qu'on les prodigue dans les mariages entre cousins dans le nord-Aveyron. C'est dégoûtant et malsain. Malgré mon bras tendu et ma main largement offerte, je ne peux pas toujours éviter cette promiscuité peu ragoûtante. Cela me rappelle ma mère, qu'enfant il fallait embrasser, avec répugnance, avant de s'en aller dormir, sur une joue grassement tartinée d'une pommade insipide échappée d'un tube bleu et blanc : le Baume du docteur Ducharme. Je n'avais réussi à fuir ce supplice qu'en demandant à finir ma scolarité en pension chez les bons pères. J'ai connu là d'autres baisers, autrement voluptueux : j'y reviendrai un jour.

Le lendemain de ce conseil, je n'allais pas bien. J'étais mal. Malade ? non. Mais une sorte de mal-être m'envahit tout au long de la journée : mon corps s'ankylosait, une migraine d'abord légère me gagna toute la tête, je me mis à avoir froid. Dans l'après-midi, pour satisfaire Pamina, je me couvris chaudement et fis avec elle  une brève ballade dans les champs. Quand je rentrai, la maison chaude me parut glaciale. C'est en frissonnant que je sortis dans le jardin pour rapporter du bûcher de quoi faire une flambée. Je grelottais tellement que je peinais à maintenir en équilibre les bûches sur mon bras. Une fois le feu démarré, je tentai de me réchauffer d'un bol de soupe que j'expédiai. Trois mandarines et leurs vitamines et hop, j'enfilai un survêtement, m'enveloppai de ma robe de chambre et, gavé d'aspirine, me lovai au plus profond de mon canapé. Pour le coup j'étais malade.

Seul devant mon feu, l'oeil perdu vers l'écran de la télévision que je n'écoutais même pas, le corps parcouru de soubresauts que je ne maîtrisais pas, je me laissais peu à peu envahir par cette idée, pas si absurde : avais-je choppé la grippe, la fameuse grippe qui faisait maintenant le quotidien de tous les journaux télévisés ? Où avais-je encore pu attraper cette saloperie ? Je vis seul, avec ma chienne et ma chatte, je fuis la ville, ma vie se partage entre la campagne et mon bureau. Mais au conseil municipal, bien sûr ! C'est encore là que, hier soir, j'ai échangé ces toxiques baisers. Me revient alors en mémoire la voix de contralto de Roselyne Bachelot nous détaillant au J.T. avec des trémolos le nombre des morts qui augmente, les pourcentages qui croissent, les hôpitaux qui se remplissent... Je vais mourir. Je suis seul. Je vais mourir seul, comme un chien (expression toute faite : mes chiens ne sont jamais morts seuls). Je me rappelle le roman de Camus qui m'avait tant impressionné dans ma jeunesse, la peste se propageant dans la ville d'Oran. Ah oui, à midi, sur France-Inter, un urgentiste a raconté un de ses patients "les poumons rongés par le virus". Un autre décrit son service saturé, il ne sait plus où mettre les malades. Et puis le témoignage de cette femme, se traînant en titubant sur le boulevard St Germain pour atteindre le cabinet de son médecin à deux patés de maisons, et puis emportée aussitôt par le Samu, dans le coma pendant quatre jours... Les jeunes, les vieux, les adultes robustes, les malades fragiles, tout le monde est frappé. Mais moi, si je m'écroule au bord de la piscine, si je trébuche au fond du jardin, qui viendra me ramasser ?
Cet été, pourtant, tous nous rassuraient : une petite grippe, comme la saisonnière, une grippette, un gros rhume, tout au plus. Il ne fallait pas s'inquiéter. Mais je me souviens : au même moment, l'hôpital de Coulommiers, le service des urgences, où j'avais accompagné Thibault, et à qui on avait refusé l'entrée, même avec un masque et qui avait dû attendre en plein soleil sur le parking. Et aujourd'hui, alors qu'on meurt aux quatre coins du pays, le personnel médical refuse la vaccination. Non, pas tous ! Quelques rares inconscients dit Roselyne ! La majorité annoncent les journalistes. Qui croire ? Il y a assez de vaccins, on en jette, il ne se conserve pas, va-t-on en manquer ? On a le choix entre cinq modèles, il y en a avec adjuvant, d'autres sans. On refoule ceux qui sont volontaires : attendez d'être convoqués ! on attend les prioritaires qui ne se dérangent pas ! Ah, vous êtes né avant 1945 ? Rien à craindre, vous êtes auto-immun. Quoi ? Auto-immun : vous n'êtes pas concerné. Ah bon. Je ne mourrai pas encore cette fois-ci, Dieu merci. Merci qui ? Dieu ? Qu'est-ce qu'il a à voir avec la grippe ? Ah ben oui, c'est lui qui l'a inventée, la grippe, et c'est Noé qui l'a conservée dans son arche. Merci, Dieu, merci, Noé. 
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19 novembre 2009 4 19 /11 /novembre /2009 18:27

Il y a quelques jours, j'ai rencontré mon frère qui m'a appris que j'allais de nouveau être grand'oncle et qu'il prévoyait de réunir toute la famille, pour faire la connaissance de  l'heureuse mère et pour féliciter son rejeton (un grand garçon vigoureux, la preuve). Le dernier repas de famille nous réunissait chez moi en juin 2008. En voici les convives :

J'ai réuni, ami, autour de cette table
Une noble assemblée de convives honorables :
Serge mon frère, tel un nouvel Hercule,
A couvert la planète de travaux majuscules !
Il a fort bien connu l'Indonésie lointaine,
La mystérieuse Egypte aux tombeaux par centaines,
Et la mer océane et la terre arabique !
Son épouse Sylvie est mère prolifique
D'enfants savants et beaux, aux destins exemplaires :
Professeur des écoles, architectes hors pair !
Et notre Udo aussi, en  sa bibliothèque,
Sérieux comme un pape ou comme un archevêque !
Il écrit des bouquins, surtout pendant la nuit,
Que d'autres, très-savants, dévorent sans ennui.
Et puis enfin José, Erinye vengeresse,
Funeste lavandière de l'humaine faiblesse,
Qui voudra me châtier d'une faute inexpiable
En quittant tout à l'heure sans un mot cette table.


Ces vers sont tirés de ma tragédie en 3 actes et un prologue : Le départ de la reine José, écrite en août 2008.

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19 novembre 2009 4 19 /11 /novembre /2009 12:27
Mon voisin jette beaucoup. De tout. De la ferraille, des planches, les meubles de sa femme partie, du pain. Beaucoup de pain. De l'autre côté du chemin qui mène au château, c'est le champ. Il jette dans le labour ses demi-baguettes rassises. Sur le brun de la terre fraîchement retournée, dans le scintillement de la rosée sur les premières pousses, on les reconnait. Elles gisent, blondes, dorées, dans la lumière rasante du soleil qui se lève. Je suis fils et petit-fils de boulangers. Mes aieux étaient des gens  pauvres : le pain, c'est sacré. Ma grand-mère le signait d'une croix dessinée à la pointe du couteau sur la croûte, à l'envers, et elle le posait, à l'endroit, avec respect sur la table. Mon père disait : finis d'abord ce morceau, avant d'entamer cet autre.  Je dis la même chose à Thibault. J'aime et je respecte le pain.
Les morceaux de baguette du voisin reposent de guingois, en équilibre, de travers, sur les mottes. L'estafilade dessinée à la lame par le boulanger sur la croûte, avant la cuisson, est nettement visible dans le contre-jour. Pamina a vu le pain. Elle sait. En trois bonds elle l'atteint, saisit dans sa gueule, délicatement, sans trop presser, un morceau, le fouet battant de contentement. Elle vient jusqu'à moi, me frôle, m'évite, revient. Vai-je lui dérober son trésor ? C'est son jeu.
A la sortie du village, à quelques mètres de la route, le paysan a laissé un tas énorme de fumier. Plusieurs bennes ont été vidées là, en attendant l'amendement du champ. Voilà des semaines que ça fume doucement au soleil. Il y a eu des mouches et puis les premiers froids sont venus. Pamina connaît bien ce tas de fumier. Chaque matin, elle sait que c'est : non ! Défendu ! On ne joue pas dans le fumier. Mais hop ! elle est partie. Elle file, la baguette sèche et durcie entre les crocs. Oui, car c'est ici le garde-manger de Pamina. Elle gratte et creuse la paille souillée, dépose avec soin son trésor doré dans le trou et du bout du museau, soigneusement, sur toute sa longueur, recouvre de fumier le pain trouvé. Ca y est, le pain tout entier est enfoui.
Pamina ne reviendra sans doute pas le chercher. A la maison elle est trop bien nourrie. Mais Pamina n'est pas cigale, elle est fourmi. D'ailleurs son pelage est noir.
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18 novembre 2009 3 18 /11 /novembre /2009 06:36
   Hier soir, réunion du conseil municipal. Nous sommes une dizaine autour du tapis vert. Ariane de Rotschild veut vendre, dans la plaine, la ferme des Vieilles Chapelles. On va construire sur les terres la nouvelle gare du RER.
J'observe que le rû du Bréon les traverse. On va l'enterrer ?
- On abuse ! réplique YoYo, la deuxième adjointe.
- Quoi ? Moi, j'abuse ?
- Non, on l'abuse.
- On abuse une rivière ?
Un conseiller :
- Une rivière, le mot est fort.
Moi :
- Oui, je sais, c'est pas le Mississipi. Mais par temps d'orage...
La deuxième adjointe :
- Je dis : on la buse. On la fait passer dans une buse.
Moi :
- Ah ! La deuxième adjointe parle comme un homme de chantier, alors...
   On rit aux éclats !
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17 novembre 2009 2 17 /11 /novembre /2009 18:21

La jeunesse nous quitte, et les Grâces aussi.
Les désirs amoureux s'envolent avec elles,
Et le sommeil facile. A quoi bon le souci
Des espérances éternelles ?

L'aile du vieux Saturne emporte nos beaux jours,
Et la fleur inclinée au vent du soir se fane ;
Viens à l'ombre des pins ou sous l'épais platane
Goûter les tardives amours.

Ceignons nos cheveux blancs de couronnes de roses ;
Buvons, il est temps encore, hâtons-nous !
Ta liqueur, ô Bacchus, des tristesses moroses
Est le remède le plus doux.

C'est de Leconte de Lisle, dans les Poêmes Antiques, le genre de poésie qu'on ne trouve plus que dans les brocantes, le dimanche à l'aube, dans un tas de vieux livres humides jetés à même le pavé.

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