Je ne l'ai jamais connu que sous ce nom : l'oncle Auguste. C'était à la fin de la guerre, celle de 39. J'avais quatre ou cinq ans. Il arrivait le soir, après la fermeture de la boulangerie, quand ma mère avait tiré le rideau de fer et qu'elle comptait sa recette. Il faisait du transport dans Paris, des livraisons. Du charbon ? du bois ? d'autres marchandises, sans doute, je ne l'ai jamais su. Il arrêtait le long du trottoir une grosse carriole attelée aux roues ferrées et son cheval restait seul, immobile, planté dans le faubourg du Temple presque désert. L'oncle se courbait et passait sous le rideau : c'était un vieil homme déjà, il était très petit de taille, chétif, malingre même. Ma mère rajoutait une assiette. ses longues moustaches dégoulinaient d'un peu de soupe. Il avait un accent rocailleux teinté des inflexions chantantes du patois aveyronnais. Et puis un jour, il n'est plus venu et on n'a plus jamais parlé de lui. On disait l'oncle Auguste.
Les photos sont de Thibault et d'Alain.
Ces souvenirs me reviennent tandis que Thibault m'entraîne au Grand Palais tout déglingué pour rendre visite à un autre Auguste, pas un clown de chez Zavatta, le premier des empereurs romains, premier dans la chronologie et premier pour les beautés qu'il nous a laissées.
Cette très magnifique expo (je pèse mon mot) commémore le bimillénaire de la mort de ce grand empereur. Après les années du triumvirat avec Lépide (mis sur la touche) et Antoine qui fricotait avec Cléopâtre et qui fut battu à la bataille d'Actium, Octave (Caïus Julius Caesar Octavianus pour être complet !) consacré Augustus, comme mon vieux grand'oncle, règne quarante ans et lègue son nom à cette période qui devient "le siècle d'Auguste". Il disait avoir trouvé une Rome de briques et avoir laissé une Rome de marbre : c'est bien vrai.
Que de merveilles nous offre cette expo : fresques, reliefs sculptés, les plaques de la collection Campana, des bijoux et du mobilier de Pompéi, le vrai casque d'un gladiateur, des pièces de monnaies, des médailles.
Et des statues...
Le couple formé par Oreste et Pylade rappelle que Racine ne s'est pas trompé :
"Oui, puisque je retrouve un ami si fidèle,
Ma fortune va prendre une face nouvelle..."
Cet acrotère décoratif évoque le théâtre :
L'Empire tout entier a célébré Auguste et l'expo nous en propose plusieurs portraits : idéalisés ? En tout cas, c'était un bien belle figure. Jugez vous-même :
Madame Auguste est aussi dans l'exposition :
La vie quotidienne des Romains est illustrée par une grand nombre d'objets dans les vitrines. L'Italie a participé à l'exposition.
J'ai retrouvé dans l'expo un petit bas-relief du musée du Louvre dont la copie orne depuis des années l'escalier de ma maison, des faunes foulant le raisin :
Ici, Auguste, la tête voilée car il est le pontifex maximus, offre un sacrifice en musique.
Plus loin un suovétaurile s'apprête : un cochon, un bélier et un taureau vont passer à la casserole.
Est exposé un trépied ithyphallique, retrouvé à Pompéi (L'emploi de cet adjectif sur le blog du village m'avait valu jadis un remontage de bretelles par des cons ignares.)
L'expo dure jusqu'en août, le mois d'Auguste. Profitons-en.
Au soir de sa vie, Auguste proclame (sur les murs du Grand Palais) :
"Plaudite. Acta est fabula." Applaudissez. La pièce est jouée.
Deux jours après notre visite, je trouve ce petit livre dans une brocante, une Histoire Romaine (de 1810), destinée aux élèves-officiers des armées napoléoniennes.
Je l'ouvre tout à fait au hasard et je tombe - ô miracle !- sur ce paragraphe que je recopie :
"A l'âge de soixante-seize ans, après environ quarante-quatre ans de règne, Auguste finit sa carrière avec plus de courage qu'il n'en avoit montré dans les batailles. Se sentant près de mourir : N'ai-je pas bien joué mon rôle, dit-il à ses confidens ? La pièce est finie. Applaudissez. Peu d'acteurs, en effet, l'ont égalé sur le théâtre de l'ambition et de la politique.Ce fut presque toujours à force de tromper les hommes qu'il s'éleva au-dessus d'eux."
Le livre s'adresse, il est vrai, à des militaires. Nous n'avons pas les mêmes valeurs, dirait ma charcutière en servant ses rillettes...